mercredi 22 octobre 2014

Ben Mazué : le chanteur malgré lui

Il y a des disques tellement bon que tu ne sais pas par où commencer pour en parler : 33 ans de Ben Mazué est de ceux-là.

Musicien et auteur compositeur hors norme, Ben Mazué a appris son métier sur scène après s’être essayé à la médecine. Après avoir donc soigné les maux, il s’attèle avec brio à faire rimer et sonner les mots en racontant des histoires, son histoire, dans une sorte de stand up musical.

Sa musque oscille entre slam et chanson mais comme il le dit lui-même, il se dit  « attiré par les projets un peu en marge du hip-hop, ceux qui empiètent sur la chanson ». Une musique urbaine donc,  mais riche et diverse avec un flow rapide et sautillant (jamais agaçant) toujours frais. Il ne veut pas se faire enfermer dans une case, et il a bien raison.

A 33 ans (d’où le titre),  il fait SON bilan et propose SA synthèse de la vie : chaque étape importante, de 14 ans à 73 ans, y est croquée avec une impressionnante sincérité, une redoutable justesse, un réalisme redoutable. Douze tableaux qui parlent de l’acceptation de soi, la vie conjugale, le deuil, la paternité mais aussi la retraite ou encore la première fois, dans une mise à nu sensible,  pudique et poétique.

Douze chansons pour dresser un portrait lucide de la vie de beaucoup d’entre nous, en partant de certains clichés pour mieux en fait les dénoncer, les démonter.

Dès le premier morceau L'Onde , l’artiste montre une verve et un bagou réjouissants (à la manière d’Orelsan) et évoque sur un tempo lent et subtil la part de déterminisme et de hasard auquel nous sommes tous soumis, avec en leitmotiv le « satané cercle vertueux ».

Puis viennent les chansons sur l’âge, LA vraie originalité de ce disque : mi parlés mi chantés, des titres où Mazué se place en observateur avisé.

5 chansons croquant 5 personnages différents : les étapes d’une vie.

Elles apparaissent çà et là dans le disque comme un fil rouge qui se  mélangeraient aux chansons interprétées à la première personne du singulier. Des chansons moins personnelles que les autres, «  une façon de ne pas parler trop de moi » a-t-il déclaré. On le verra plus bas, il y a beaucoup du chanteur dans les autres titres.

Ces 5 morceaux sont des tableaux tellement réalistes qu’ils sont devenus de véritables chansons à voir, très esthétiquement mise en images en collaboration avec Bruno Muschio (Bref) qui a su parfaitement calquer le rythme des mots avec celui des images. Elles mettent en exergue l’écriture sensible et juste de l’artiste. 



D’abord 14 Ans , où Ben Mazué évoque « le grand sujet » du dépucelage, vécu par un garçon, allant même jusqu'à dire "il réalise que c'est lui l'objet". Tout y est décrit avec pudeur et réalisme. 

 Puis 25 Ans où il raconte la soirée de drague en appart et observe un mec séduit dans une soirée par une « parleuse » plus vieille. « Quelques naïves confessions vous permettent de penser/ Qu'elle n'est pas maladroite en talons compensés comme simple tenue/ Et que vous seriez sûrement très bien/... tout nus », écrit-il. A la fois cru et bien observé, pudique et intime.



Puis vient 35 ans , où il se place côté fille et raconte les désillusions d’une célibataire qui court après ses 20 printemps mais en a quinze de plus et compte arrêter de jouer les gamines. « A ton âge, on commence à se connaître/ Les résolutions défoncées, c'est un concentré de sincérité malhonnête », lui balance t il d’un ton acerbe.

Musicalement, on est dans le slam option classique (piano et violoncelle comme chez Grand Corps Malade) pour 14 et 35 ans et on a le droit à un très soul avec cuivres, 25 ans, où apparaît le très inspiré Mehdi, arrangeur sur certains titres.

Le cycle des âges se termine avec 54 ans et la déprime (« De la vie, il me reste qu’un fil ») de la retraite anticipée arrivée trop tôt avec le vent de révolte et le folk très sobre qui l’accompagne; et s’achève par l’acquisition de la sagesse à 73 ans où il ne reste plus qu'à attendre le dernier souffle, en maugréant devant une série télé. Une caricature du vieil aigri qui se termine par « il leur faudrait une bonne guerre » . Le ton est toujours juste, réaliste, implacable.

Entre ces bilans décennaux passant de l'espoir à l'amertume, l'auteur-compositeur glisse des tranches de vie plus pop (Oui-oui, Chamallow), rock (Ruby ) voire blues (Vivant).

Ainsi, ses constats sont imparables : il faut tout assumer, s’accepter pour avancer (Chamallow) ou bien,se dire que faire des enfants ce n’est pas que indispensable (Oui oui), ou encore réaliser que les couples qui durent finalement sont ceux qui cultivent l’amour (Peut-être qu’on ira loin).




Ce disque est aussi un concentré des 3 dernières années de l’artiste. S’il a eu 2 enfants, il a aussi perdu sa mère. Le deuil est évoqué avec beaucoup de pudeur et d’espoir dans son nouveau single  vivant . La tristesse liée à l’absence ne vient pas tout de suite mais dure longtemps Une autre grande réussite de cet album.


Je ne peux pas ne pas évoquer pour terminer Ruby  où les filles à papa en prennent pour leur grade parce qu’elles brillent plus qu’elles ne scintillent. Beaucoup de vérités assénées sur un rythme rock terriblement jouissif et communicatif.  Je partage tellement ces observations sur ce genre de filles  que je suspecte l’artiste de m’avoir piqué l'idée pour en parler :). 

Sinon, outre Mehdi aux arrangements, la production du disque a été confiée à Guillaume Poncelet (Ben L’oncle Soul) qui a su s’adapter à toutes les facettes de l’interprète pour tirer en avant et habiller au mieux ses compositions. Un disque qui s'écoute d'une traite avec beaucoup de plaisir. 

Après un premier album qui avait déjà attiré l'attention des professionnels, 35 ans a tous les ingrédients (et les images) pour attirer un public plus large et permettre à Ben Mazué de s'installer à une place totalement à part dans la nouvelle scène française.

La médecine lui a permis d'observer les gens de plus près pour mieux nous les narrer dans ses chansons. La musique est un cri qui vient de l’intérieur qui ne demande qu'à s'exprimer. 

Alors Ben Mazué, chanteur malgré lui ? Ce qui est certain quoi qu'il en soit : on ne saura jamais si ses patients le regrettent mais la scène Française et nos oreilles ne regretteront jamais son arrivée. 


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