dimanche 26 octobre 2014

Vianney : Idées blanches pour pop pastel

Le label Tôt ou tard nous a toujours habitué à de belles découvertes, leur nouveau poulain Vianney, ne dément pas à la règle. Il propose avec Idées blanches un album chaleureux et coloré : un disque aux couleurs pastel et pleines de joie.


Après des études de commerce et un diplôme de stylisme, voici donc le premier album de ce charmant jeune homme de 23 ans, proposant une pop délicieusement acidulée et rafraîchissante,  qui a offert cet été le morceau Je te déteste mélange de pop aux accents folk et de variété.

La chanson raconte l’histoire d'une relation amoureuse compliquée et met en relief les efforts que l'un et l'autre doivent être en mesure d'accomplir pour construire un couple. Un chanson radicalement à contre-courant mais redoutablement efficace




« Je ne suis pas musicien, je ne suis pas chanteur » : un texte faussement naïf, joueur et fédérateur qui capte immédiatement l’auditeur. Finalement,  la vraie définition de la chanson pop. On imagine aisément le public la reprendre à l’unisson et ad lib en concert : un pur bonheur.

« Je sens bon l’amour jusque sous les aisselles : si ce n’est pas une magnifique métaphore sur l’amour, je ne sais plus les reconnaître :-) Et que dites vous de ce "je viens gifler mes cordes plutôt que ton fessier" ? Totalement jubilatoire !

C’est une délicieuse ritournelle pop et ce n’est pas la seule du disque. Vous tomberez également sous le charme de Veronica ou Notre Dame des Oiseaux et vous ne pourrez pas vous empêcher de taper du pied en sifflotant.

Si on devait n'en retenir qu'un , fraîcheur est le maître mot pour décrire les chansons de Vianney.

Le premier morceau de l’album, tendrement mélancolique et réaliste (pessimiste ?) Aux débutants de l’amour et la fausse naïveté du thème choisi, installe l’auditeur dans un fauteuil de choix pour apprécier un auteur compositeur qui mène aussi bien le verbe que l’art de la mélodie.

C’est frais et léger, terriblement réjouissant dans le monde de brutes qui nous entoure, avec un petit côté décalé à la  Vincent Delherm (sur le même label) autant dans l’orchestration que dans l’ironie des textes. On retrouve cette même impression dans la très reggae Tout seul vers la fin du disque.

Le thème est décliné aussi dans Chanson d’hiver, l’auteur surfant volontairement sur le côté ingénu des premiers émois.

Vianney est un autodidacte mais sa passion pour la musique ne date pas d'hier. 

Initié par son père aux grands auteurs compositeurs français comme Barbara ou Le Forestier, et dans une mouvance proche de Thomas Fersen, il se montre attaché tant aux textes qu'à la musique. 

Avec des morceaux à la mélodie finement ciselée et à l’orchestration aérienne comme Tu le sais, ou avec On est bien comme çà, on entend clairement des inspirations à la Voulzy voire même Goldman. Il a l'art et la manière d'écrire des chansons pop aux refrains entêtants. 

Il aborde aussi des thèmes plus sérieux sur des airs faussement simples. 
Fin observateur, ses textes, des poèmes sont comme des instantanés. Il aime dit-il « décrire la fugacité des sentiments ».

Ainsi dans  Labello, chanson acidulée par excellence, il dépeint une vision surréaliste du Noel sur les Champs Elysées avec les gens qui ont froid alors que lui se focalise sur le baume à lèvres  de sa douce. 

Il va même jusqu'à éveiller nos consciences avec une naturelle bienveillance et une constante acuité altruiste, en dénonçant avec justesse et naïveté  notre indifférence face aux gens dans la rue en clamant (scandant ?) sur un rythme rude que les Gens sont méchants . Un morceau qui ne laisse pas indifférent. 

Enfin la mélancolie prend le pas dans Mon étoile et surtout avec Pas là , chanson nostalgique un brin désuèteoù ses bleus à l'âme sont accompagnées par des envolées de violons redoutablement lyriques. 

Mais, ne vous y trompez pas : l'ensemble du disque reste profondément optimiste d'où l'idée de proposer ce recueil d'Idées blanches (par opposition aux idées noires). 

Sous des faux airs de disque léger, Idées Blanches est un disque d’une profondeur inattendue . Vianney est assurément un artiste à suivre, sincère et attachant : jamais, vous ne pourrez le détester....

Si Dieu lui a donné des mains pour consoler son cœur, il est en train de consoler le nôtre avec, merci Vianney !


mercredi 22 octobre 2014

Ben Mazué : le chanteur malgré lui

Il y a des disques tellement bon que tu ne sais pas par où commencer pour en parler : 33 ans de Ben Mazué est de ceux-là.

Musicien et auteur compositeur hors norme, Ben Mazué a appris son métier sur scène après s’être essayé à la médecine. Après avoir donc soigné les maux, il s’attèle avec brio à faire rimer et sonner les mots en racontant des histoires, son histoire, dans une sorte de stand up musical.

Sa musque oscille entre slam et chanson mais comme il le dit lui-même, il se dit  « attiré par les projets un peu en marge du hip-hop, ceux qui empiètent sur la chanson ». Une musique urbaine donc,  mais riche et diverse avec un flow rapide et sautillant (jamais agaçant) toujours frais. Il ne veut pas se faire enfermer dans une case, et il a bien raison.

A 33 ans (d’où le titre),  il fait SON bilan et propose SA synthèse de la vie : chaque étape importante, de 14 ans à 73 ans, y est croquée avec une impressionnante sincérité, une redoutable justesse, un réalisme redoutable. Douze tableaux qui parlent de l’acceptation de soi, la vie conjugale, le deuil, la paternité mais aussi la retraite ou encore la première fois, dans une mise à nu sensible,  pudique et poétique.

Douze chansons pour dresser un portrait lucide de la vie de beaucoup d’entre nous, en partant de certains clichés pour mieux en fait les dénoncer, les démonter.

Dès le premier morceau L'Onde , l’artiste montre une verve et un bagou réjouissants (à la manière d’Orelsan) et évoque sur un tempo lent et subtil la part de déterminisme et de hasard auquel nous sommes tous soumis, avec en leitmotiv le « satané cercle vertueux ».

Puis viennent les chansons sur l’âge, LA vraie originalité de ce disque : mi parlés mi chantés, des titres où Mazué se place en observateur avisé.

5 chansons croquant 5 personnages différents : les étapes d’une vie.

Elles apparaissent çà et là dans le disque comme un fil rouge qui se  mélangeraient aux chansons interprétées à la première personne du singulier. Des chansons moins personnelles que les autres, «  une façon de ne pas parler trop de moi » a-t-il déclaré. On le verra plus bas, il y a beaucoup du chanteur dans les autres titres.

Ces 5 morceaux sont des tableaux tellement réalistes qu’ils sont devenus de véritables chansons à voir, très esthétiquement mise en images en collaboration avec Bruno Muschio (Bref) qui a su parfaitement calquer le rythme des mots avec celui des images. Elles mettent en exergue l’écriture sensible et juste de l’artiste. 



D’abord 14 Ans , où Ben Mazué évoque « le grand sujet » du dépucelage, vécu par un garçon, allant même jusqu'à dire "il réalise que c'est lui l'objet". Tout y est décrit avec pudeur et réalisme. 

 Puis 25 Ans où il raconte la soirée de drague en appart et observe un mec séduit dans une soirée par une « parleuse » plus vieille. « Quelques naïves confessions vous permettent de penser/ Qu'elle n'est pas maladroite en talons compensés comme simple tenue/ Et que vous seriez sûrement très bien/... tout nus », écrit-il. A la fois cru et bien observé, pudique et intime.



Puis vient 35 ans , où il se place côté fille et raconte les désillusions d’une célibataire qui court après ses 20 printemps mais en a quinze de plus et compte arrêter de jouer les gamines. « A ton âge, on commence à se connaître/ Les résolutions défoncées, c'est un concentré de sincérité malhonnête », lui balance t il d’un ton acerbe.

Musicalement, on est dans le slam option classique (piano et violoncelle comme chez Grand Corps Malade) pour 14 et 35 ans et on a le droit à un très soul avec cuivres, 25 ans, où apparaît le très inspiré Mehdi, arrangeur sur certains titres.

Le cycle des âges se termine avec 54 ans et la déprime (« De la vie, il me reste qu’un fil ») de la retraite anticipée arrivée trop tôt avec le vent de révolte et le folk très sobre qui l’accompagne; et s’achève par l’acquisition de la sagesse à 73 ans où il ne reste plus qu'à attendre le dernier souffle, en maugréant devant une série télé. Une caricature du vieil aigri qui se termine par « il leur faudrait une bonne guerre » . Le ton est toujours juste, réaliste, implacable.

Entre ces bilans décennaux passant de l'espoir à l'amertume, l'auteur-compositeur glisse des tranches de vie plus pop (Oui-oui, Chamallow), rock (Ruby ) voire blues (Vivant).

Ainsi, ses constats sont imparables : il faut tout assumer, s’accepter pour avancer (Chamallow) ou bien,se dire que faire des enfants ce n’est pas que indispensable (Oui oui), ou encore réaliser que les couples qui durent finalement sont ceux qui cultivent l’amour (Peut-être qu’on ira loin).




Ce disque est aussi un concentré des 3 dernières années de l’artiste. S’il a eu 2 enfants, il a aussi perdu sa mère. Le deuil est évoqué avec beaucoup de pudeur et d’espoir dans son nouveau single  vivant . La tristesse liée à l’absence ne vient pas tout de suite mais dure longtemps Une autre grande réussite de cet album.


Je ne peux pas ne pas évoquer pour terminer Ruby  où les filles à papa en prennent pour leur grade parce qu’elles brillent plus qu’elles ne scintillent. Beaucoup de vérités assénées sur un rythme rock terriblement jouissif et communicatif.  Je partage tellement ces observations sur ce genre de filles  que je suspecte l’artiste de m’avoir piqué l'idée pour en parler :). 

Sinon, outre Mehdi aux arrangements, la production du disque a été confiée à Guillaume Poncelet (Ben L’oncle Soul) qui a su s’adapter à toutes les facettes de l’interprète pour tirer en avant et habiller au mieux ses compositions. Un disque qui s'écoute d'une traite avec beaucoup de plaisir. 

Après un premier album qui avait déjà attiré l'attention des professionnels, 35 ans a tous les ingrédients (et les images) pour attirer un public plus large et permettre à Ben Mazué de s'installer à une place totalement à part dans la nouvelle scène française.

La médecine lui a permis d'observer les gens de plus près pour mieux nous les narrer dans ses chansons. La musique est un cri qui vient de l’intérieur qui ne demande qu'à s'exprimer. 

Alors Ben Mazué, chanteur malgré lui ? Ce qui est certain quoi qu'il en soit : on ne saura jamais si ses patients le regrettent mais la scène Française et nos oreilles ne regretteront jamais son arrivée. 


jeudi 16 octobre 2014

Georges Ezra, ne restez pas à quai, embarquez pour le Trans Europ Ezra Express

La jeunesse n’attend pas la force des années. Dans le cas présent, on n’aura pas attendu longtemps. 

Après Jake Bugg, vous avez sans doute entendu parler du jeune prodige anglais de 21 ans Georges Ezra (ou au moins fredonné son  titre Budapest). Originaire de la ville d’Herford,  voici qu’arrive ce grand crooner au timbre de voix improbable, mal à l’aise avec ses grandes jambes et son charisme XXL. 

Dès l’hiver 2013, il a eu la chance d’intégrer la très select liste BBC Sound of 2014 et, après avoir écumé les pubs de bristol, il a sillonné toute l’Europe (dont Paris) en captant chaque soir l’attention d’un public grandissant. 

Toujours seul sur scène avec sa guitare, son road trip lui a permis d’écrire et composer son premier album un peu à la manière des troubadours qui lui servent de référence que sont Bob Dylan ou Wilson Guthrie. 

Le résultat est une parfaite réussite et son album renferme bon nombre de titres entêtants comme le sont ses trois premiers singles, Budapest, Did you hear the rain ou Cassy O’. Chez nous, la plupart de médias ne s’y sont pas trompés et diffusent en boucle depuis cet été son hit Budapest.

Il est venu le défendre, toujours seul avec sa guitare chez Fredéric Taddéi : il a tout bonnement électrisé l’assistance, médusée devant le timbre de voix et la maturité de ce grand jeune homme.






Sa voix rocailleuse et bluesy est déjà un voyage à elle toute seule : on se sera pas surpris que son album s’appelle Wanted on Voyage
 
Alors que ces illustres ainés prônaient une forme de révolution politique, George se limite à raconter des histoires. Il se décrit d’ailleurs comme un storyteller qui a appris à jouer de la guitare pour accompagner ses histoires. Nombreuses sont celles qui évoquent des villes idéalisées ou fantasmées (Budapest, Barcelona, Amsterdam) où il rêverait de poser ses valises. 
 
Le décor est planté dès Blame it on me, à la fois très brut et très fédérateur. On sait que ce disque sera une invitation au voyage.  Et si fédérateur est l’un des qualificatifs qui caractérise le mieux la musique de Georges Ezra (comme Listen to the man ou la magnifique chanson  à chanter autour d’un feu de camp, Leave it up to you), le second est assurément  « communicateur de joie ». Attardez-vous sur Drawing board pour finir de vous en convaincre.

Sa voix, si chaleureuse, évoque instantanément des images : le film qui nous est proposé (comme dans la sublime Barcelona) se déroule devant nos yeux réjouis par cette douce sensation d’évasion. Chanson après chanson, vous êtes en partance et larguez les amarres laissant à quai tous vos problèmes. 

C'est Cam Blackwood (il a notamment travaillé avec Florence and The Machine et London Grammar) qui a produit l’album en partant de l’énergie enivrante des lives d’Ezra seul à la guitare, et en y ajoutant juste ce qu’il faut de musiciens. L’orchestration bien que plus riche, reste imprégnée de la modestie qu’imposent la qualité intrinsèque des compositions  d’Ezra et la profondeur de sa voix. Il suffit d'écouter Breakaway toute en émotion pour constater que la magie opère avec simplicité et finesse. 

Le résultat est un disque est à la fois doux et léger, et riche et profond. Un vrai bonheur. La maturité et l’expérience quasi innée. Le genre d’émotion musicale qui n’arrive que quelque fois par an (la dernière fois c’était après l’écoute de The Golden Age de Woodkid). 

De la douceur ? Certes,  mais le britannique a aussi convoqué quelques démons pour pimenter l’aventure. Et quand le rythme devient plus dur et que l’électrique prend le dessus sur le folk, c’est pour un récit sombre impliquant une pluie battante provoquée par le Diable en personne ( Did you hear the Rain ?). On croirait entendre un Nick Cave de 21 printemps …

Le rythme n’est pas en reste, non plus,  sur des morceaux comme Stand by your gun où le troubadour se fait Hobo à la manière d’un Charlie Winston. Et si vous ne tapez pas du pied sur Carry O’, il est grand temps de consulter un neurologue ou un ORL (selon la formule consacrée sur ce blog). 


Un album 12 titres c’est bien, mais 16 chansons c’est encore mieux …

Ne passez surtout pas à côté de la version deluxe qui comporte 4 morceaux imparables : la très romantique  Song 6 (il ne rêve que d’Elle dans le train traversant la Bavière),  l’implorante it’s just my skin, et la très soul avec chœurs féminins, Da Vinci Riot Police . La dernière pépite est l’acoustique Blind man in Amsterdam qu’on imagine le public reprendre en chœur en fin de concert

Maintenant, saviez-vous qu’il n’était pas allé à Budapest avant d’écrire le morceau (dernièrement, il a fait le voyage tel un pèlerinage avec des journalistes) ? 

C’est à votre tour, ne ratez pas le Trans Europ Ezra express, le départ est imminent, ne restez pas à quai.  

En passant, je rappelle que Bob Dylan a commencé à 21 ans, aussi ....